Discours du nouveau Premier Président de la Cour de cassation à l’occasion de l’audience solennelle de prestation de serment et d’installation

Ouagadougou, le 05 septembre 2019

Mesdames, messieurs,

Au nom de la Cour de cassation du Burkina Faso, je voudrais saluer, en leurs qualités respectives, les nombreuses personnes et personnalités, burkinabé et étrangères, qui ont tenu à marquer cette audience de leur présence, en leur nom personnel ou au nom des institutions qu’elles représentent. Qu’elles trouvent ici l’expression des sincères remerciements de l’ensemble des personnels de la Cour.

Excellence, monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, représentant le Président du Faso, Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire,

Malgré les charges de votre fonction, vous avez bien voulu être présent à cette audience solennelle de prestation de serment et d’installation du nouveau Premier Président de la Cour de cassation. Au-delà de la courtoisie entre institutions, vous témoignez ainsi de votre attachement à l’institution judiciaire.

Votre présence aujourd’hui est un précieux encouragement pour les hommes et les femmes qui,  dans les Cours et tribunaux, remplissent leur mission dans l’ombre, avec courage, dignité et discrétion. Ils concourent ainsi au maintien de la cohésion sociale particulièrement menacée en cette période de crise et d’incertitude. Inlassablement, ils cherchent à assurer l’égalité de tous et les droits de chacun, dans le but ultime de renouer les liens de confiance des citoyens en leur justice.

Votre présence, en tant que représentant du Président du Faso, est de nature à nourrir notre espoir que le rôle de garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, constitutionnellement conféré à celui-ci, sera tenu.

Mesdames, Messieurs,

En prenant fonction officiellement ce matin à travers la présente audience solennelle, je tiens à exprimer ma gratitude au Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), pour le choix qu’il a bien voulu porter sur ma personne pour diriger les activités de la Cour de cassation et subséquemment celles dudit Conseil. Je relève que la désignation par le CSM du Premier Président de la Cour de cassation au mois de mai dernier a été lapremière effectuée depuis que le Président du Faso ne préside plus ledit Conseil, ainsi que l’a voulu la réforme constitutionnelle de novembre 2015. Cette désignation s’est faite à partir d’un appel à candidatures, avec invitation des candidats à développer par écrit et oralement leur conception de l’exercice des fonctions du Premier Président. La mienne, qui a recueilli l’approbation du CSM, comporte une triple dimension à savoir :

 -l’avènement d’une Cour de cassation réconciliée avec les principes fondamentaux d’indépendance, d’impartialité de probité et d’intégrité ;

-la construction d’une Cour de cassation respectable ;

-le rayonnement d’une Cour de cassation respectée.

Pour concrétiser cette vision et continuer à mériter la confiance du CSM, aucun effort ne sera de trop. Trois règles de conduite me guideront tout au long de l’exercice des fonctions qui sont désormais miennes : la concertation, la redevabilité et la constance

Il s’agit en premier lieu de la concertation. En effet, le solutionnement des difficultés de la magistrature nécessite que tous ses responsables, à quelque niveau où ils se trouvent, puissent faire preuve d’un esprit d’ouverture et de hauteur pour instaurer la concertation. Il y a eu tant de crises et de déchirures internes, que tous les acteurs judiciaires qui veulent bien construire quelque chose doivent pouvoir se tenir la main ; la concertation apaise les cœurs et l’exemple doit être donné à partir de la Cour de cassation. La deuxième règle de management à laquelle je souscris est celle de la redevabilité. Tout au long du mandat, je serai habité par le souci de transparence dans toutes mes entreprises. Dans la mesure où lesdites entreprises auront fait l’objet de concertations avant exécution, elles devront faire l’objet d’un compte rendu après exécution. 

Troisièmement et enfin, la constance : dans le combat devant conduire la magistrature burkinabé à occuper pleinement la place qui lui revient dans un Etat de droit, il faut être constant et persévérant. C’est à cette constance sinon à cette persévérance que je convie l’ensemble des membres de la Cour et au-delà, l’ensemble des acteurs judiciaires. Pour ma part, j’ai l’intime conviction que l’indépendance de la magistrature,  son impartialité, son intégrité et sa dignité sont des valeurs qui méritent bien qu’on se sacrifie pour les concrétiser. 

Mesdames et messieurs,

Qu’il me soit permis en ces moments empreints de solennité, de rendre un hommage appuyé à tous mes devanciers à ce poste, eux qui, à des périodes différentes ont présidé aux destinées de la juridiction nationale de cassation de notre pays, appelée successivement Cour Suprême, Haute Cour judiciaire ou d’Etat, Cour suprême à nouveau et enfin Cour de cassation. Je me réjouis en particulier de la présence à nos côtés ce matin de monsieur le Premier Président honoraire de la Cour de cassation Abdouramane BOLY.

Excellence  monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement, représentant le Président du Faso, Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire,

Mesdames et messieurs,

L’audience solennelle de prestation de serment et d’installation se tient à un moment où l’institution judiciaire est mise en cause, parfois à raison, mais le plus souvent à tort, dans des conditions partisanes.  

Aussi, voudrais-je rappeler et insister sur certaines règles et principes fondamentaux devant régir les acteurs judiciaires à savoir le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire, et le respect des règles déontologiques.

-1    Le principe de l’Indépendance du Pouvoir Judiciaire

« L’indépendance est la situation d’une collectivité, d’une institution ou d’une personne qui n’est pas soumise à une autre collectivité, institution ou personne. Il faut que son titulaire n’ait rien à attendre ou à ne redouter de personne. » 

Appliquée à la justice, l’indépendance se manifeste par la liberté du juge de rendre une décision non liée par une hiérarchie ou par des considérations autres que la loi.

 Placée sous les feux de l’Etat de droit, l’indépendance prend une autre dimension : il ne saurait y avoir d’Etat de droit sans garantie constitutionnelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

L’indépendance serait donc une conséquence directe d’une interprétation stricte du principe de la séparation des pouvoirs et un corollaire nécessaire à la protection judiciaire des droits. Toutes les institutions qui composent le pouvoir juridictionnel cherchent donc à consolider cette indépendance, personnelle et organique, tant elle est au fondement de l’office du juge.

Il convient alors d’avoir une conception hardie de l’indépendance. L’indépendance se promeut, se défend, se revendique et elle est à ce point fragile qu’elle mérite bien un combat.

Par conséquent, la question de l’indépendance de la justice ne se pose que dans un Etat de droit et dépend, en réalité, de l’avancement du processus de construction de l’Etat de droit. Plus l’Etat de droit est parachevé plus la quête d’indépendance est affichée ; moins l’Etat de droit est abouti, moins l’indépendance devient une exigence cardinale et une priorité du pouvoir politique.

Le principe de cette indépendance est profondément lié à la séparation des pouvoirs ; dans ce cadre, il y’a nécessité de contribuer à définir le périmètre d’action de chaque pouvoir dont le champ légal et légitime de compétences s’arrête là où commence celui d’un autre.

L’indépendance exige que le recrutement du juge, le déroulement de sa carrière et les éventuelles sanctions disciplinaires qu’il encourt soient soustraits à toute ingérence politique.

C’est à ce stade que le Conseil Supérieur de la Magistrature  joue un rôle capital  si l’on considère que l’intégration, les affectations et la nomination des magistrats à certaines fonctions  interviennent après délibération de cet organe.

Il en est de même pour leurs avancements et leur discipline.

A cet égard, je félicite et encourage la Secrétaire Permanente et l’ensemble des Membres du Secrétariat Permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature pour le volume et la qualité du travail accompli depuis leur mise en place, il y’a quelques années seulement. Dans la même veine je voudrais féliciter monsieur le Ministre de la justice garde des sceaux,        pour  l’accompagnement dont il a bien souvent fait bénéficier des structures indispensables pour toute l’institution judiciaire.   

Excellence monsieur le Premier ministre,

Mesdames et messieurs,

Si l’indépendance du pouvoir judiciaire doit être soutenue au regard de tous les développements faits, il importe de noter que l’indépendance sans le sens de responsabilité est un non-sens ; le juge n’étant pas au dessus de la loi. C’est justement pour lui donner sens qu’au niveau des magistrats, le questionnement individuel et collectif de l’observation des règles déontologiques doit être quotidien.

  2 – Le respect des règles déontologiques

Le Code de déontologie adopté par le Conseil Supérieur de la Magistrature, par la Résolution n° 050-2017/CSM du 07 juillet 2017, a pour  objectif de développer, dans la conscience des magistrats, qu’ils sont les acteurs principaux, sinon les acteurs incontournables, d’une justice indépendante et impartiale dont les actions devront, a priori, commencer au sein de leur propre corps par le respect des règles de comportement définies dans ledit Code.

D’un point de vue formel, le Statut de la magistrature et certaines lois de procédure indiquent, de la façon la plus explicite, les obligations éthiques et morales qui s’imposent aux magistrats dans et hors l’exercice de leurs fonctions.

A cet égard, une des dispositions les plus illustratives est l’article 136 de la loi organique n°050-2015/CNT du 25 aout 2015 portant statut de la magistrature qui dispose que : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à la réserve, à l’honneur à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».

J’exhorte par conséquent, tous les magistrats à quelque niveau qu’ils se trouvent, à respecter toutes les obligations et tous les devoirs de leur charge.

Dans le même ordre d’idées, j’invite les différents personnels des Greffes à s’impliquer davantage dans le bon fonctionnement des juridictions et à se conformer à leur Statut. Hormis ces personnels eux même, nul autre que le magistrat ne saurait mesurer leur importance et le caractère indispensable de leur apport dans le quotidien des juridictions.

M’adressant aux avocats, aux notaires et aux huissiers, je voudrais les remercier pour leur contribution de tous les jours au bon fonctionnement de l’Institution Judiciaire et pour leur présence à cette audience solennelle. Je reste convaincu que nous pourrons développer des cadres d’échanges favorables à l’efficacité de nos fonctions respectives.

Je voudrais, enfin m’adresser à mes collègues de la Cour de cassation, aux personnels du Greffe et au personnel administratif pour leur réitérer mon entière et pleine disponibilité à être à leur écoute afin que, dans l’harmonie et la concertation, nous puissions rendre la Cour de cassation plus performante et plus efficiente pour répondre à l’attente des justiciables et de nos concitoyens.

Excellence monsieur le Premier ministre,

Mesdames et messieurs,

Il est de la Justice comme il est de l’Hôpital. Qu’on soit magistrat, député, Ministre et qui sais-je encore, on peut s’y retrouver et la douleur ne se nomme pas en pareille circonstance quand à un moment donné, on a eu de par son statut, la possibilité de faire changer qualitativement les choses et qu’on ne l’a pas fait.

C’est sur cette note comparative que je voudrais conclure tout en vous renouvelant mes remerciements pour l’attention que vous avez bien voulu porter à mon propos.

KONDE Mazobé Jean